Le mot des partenaires

ana ziqquratim en akkadien

Ana ziqquratim.

« Vers la ziggurat » en langue akkadienne.

Cette ziggurat est quasiment l’emblème de la civilisation mésopotamienne, comme la pyramide l’est à l’Égypte. Pour leur malheur, ces ziggurats, faites tout de briques, ont moins bien résisté au temps que les secondes et leurs ruines trônent moins majestueusement au-dessus des immensités plates des paysages de Mésopotamie. Aussi est-ce moins leur image qu’on connaît que celle du monument qui en est l’héritier mythique et fantasmé : la tour de Babel.

Il y eut bien des tours de Babel et celle de Babylone fut même considérée comme l’une des merveilles du monde antique. Martial, ce poète de langue latine, s’y référait encore au Ier s. apr. J. C. pour dire que l’amphithéâtre du Colisée en éclipserait la magnificence :

Que la barbare Memphis ne vante plus le prodige de ses pyramides ;
Que l’industrieuse Assyrie ne s’enorgueillisse plus de sa Babylone ;
[…]
Toute œuvre humaine le cède à l’amphithéâtre de César :
La renommée n’en célébrera plus qu’une à la place de toutes les autres.

Livre sur les spectacles, 1, traduction H. J. Izaac

La tour à degrés est une réalité dans la Mésopotamie ancienne, mais elle est de plan carrée, toujours, et fut bâtie pour honorer les dieux de ces âges reculés. Non pour leur porter ombrage et encore moins pour les défier. Elle est l’aboutissement d’une longue maturation qui commence au moins au Ve mill. av. J. C. par des bâtiments modestement surélevés.

D’abord jusqu’à l’apparition des premières ziggurats avérées à la fin du IIIe mill. av. J. C., puis, au-delà, jusqu’au Ier mill. av. J. C. quand la ziggurat sera immortalisée dans la Torah (qui sera longtemps presque la seule à en véhiculer le souvenir), jusqu’à nous pour finir, ultimes légataires, c’est ainsi un parcours long de sept millénaires que la présente exposition essaie de retracer, et avec elle ce catalogue.

Philippe Quenet
Commissaire général
Professeur, université de Strasbourg
Faculté des Sciences historiques – Institut d’Histoire et d’archéologie du Proche-Orient ancien

L’université de Strasbourg peut s’enorgueillir d’abriter un pôle de recherche et d’enseignement de tout premier plan en archéologie. Historiquement, cette discipline a été portée par de grands noms comme Adolf Michaelis, dont les importantes collections de moulages, rassemblées durant la période allemande et abritées au sous-sol du Palais universitaire, vont bientôt bénéficier d’une nouvelle muséographie et de nouveaux outils de médiation scientifique. Depuis, le spectre de la recherche en archéologie dans notre université s’est considérablement élargi. Porté par le laboratoire « Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée-Europe » (Archimède, UMR 7044 CNRS/université de Strasbourg), qui mêle du personnel de l’université et du CNRS, des archéologues et des historiens, il inclut désormais un vaste champ géographique et chronologique, qui s’étend de l’Europe à l’Asie occidentale et de la Préhistoire au Moyen Âge.

Parmi tous ces espaces, il en est un qui, aujourd’hui, plus que tout autre, est sous les feux des projecteurs : le Proche-Orient. La guerre qui fait rage depuis plusieurs années en Syrie et en Irak a déjà causé de très nombreux dégâts : à Palmyre bien sûr, site emblématique car remarquablement conservé, mais aussi dans de très nombreux autres endroits (Apamée, Ninive et Nimrud pour ne citer qu’eux) dont les médias parlent moins, ou plus discrètement. Plusieurs de nos collègues sont actuellement engagés dans la mise sur pied d’un programme de formation à destination des archéologues syriens pour les former à la restauration du patrimoine. Mais nos actions peuvent aussi prendre d’autres formes. Si le patrimoine du Proche-Orient n’est actuellement ni visible ni étudiable sur place, nous pouvons aussi le faire revivre ici, sous nos latitudes, pour montrer à quel point nous y sommes attachés et pour témoigner de notre solidarité avec les peuples qui souffrent. C’est la raison pour laquelle notre université a soutenu l’initiative de Philippe Quenet, professeur en archéologie, de retracer, à travers une exposition, la naissance d’un type de monument : la ziggurat. Surtout connues sous leur forme mythique, la tour de Babel et ses étages en spirale, les ziggurats n’en ont pas moins une origine historique : la ziggurat de Babylone et ses devancières, dont les origines remontent au Ve millénaire av. J. C. dans le Sud mésopotamien, c’est-à-dire dans l’Irak actuel. Le parcours de l’exposition invite ainsi le visiteur, de maquettes en restitutions, à découvrir un pan de notre patrimoine architectural mondial dont la monumentalité et la splendeur premières, mises à mal par l’érosion et le passage du temps, ne sont souvent plus perceptibles aujourd’hui.

Le projet, largement soutenu par notre Initiative d’excellence, a bénéficié d’un heureux partenariat avec la Bibliothèque nationale et universitaire et l’association strasbourgeoise pour le Proche-Orient ancien. Il méritait d’autant plus un engagement fort de notre part que l’université de Strasbourg a montré sa détermination à soutenir les étudiants du Proche-Orient, en proposant de les accueillir pour poursuivre leur formation. En attendant qu’une reconstruction salvatrice et durable se produise sur le terrain, c’est un morceau de Proche-Orient rebâti que l’exposition « Ana ziqquratim – Sur la piste de Babel » a pour ambition de partager avec ceux qui connaissent déjà cette région et ceux à qui, espérons-le, elle en fera deviner les beautés.

Alain Beretz
Président de l’université de Strasbourg

La seule évocation de Babel est depuis des millénaires, et singulièrement depuis Borgès, le symbole même de la notion de bibliothèque. Il était donc tout naturel que l’exposition « Ana Ziqquratim – Sur la piste de Babel », qu’a proposé d’élaborer le professeur Philippe Quenet avec ses équipes, se tienne dans une bibliothèque. Mais plus encore : qu’elle se tienne dans une bibliothèque « orientaliste », un des rares lieux de l’Orient ancien en France, comme l’est la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

La présence du Proche-Orient dans les collections de la BNU est, on le sait, un héritage de l’histoire un peu atypique de cet établissement. Peu de bibliothèques comptent en effet dans leurs fonds un bas-relief palmyrénien, une statuette de Ninive, un clou de fondation néo-sumérien, une brique couverte d’écriture cunéiforme de l’époque de Nabuchodonosor II, un sceau-cylindre assyrien, entre autres trésors. Ces collections, que l’on trouve en général plutôt dans des musées (et dont une petite, mais précieuse partie est montrée dans l’exposition), ont été collectées à la fin du XIXe siècle par les bibliothécaires de la Kaiserliche Universitäts-und Landesbibliothek (comme s’appelait l’établissement à l’époque), soucieux de rassembler la collection d’étude la plus riche possible pour l’université de Strasbourg, alors toute récente et dont l’un des pôles d’excellence était, justement, l’Orient ancien.

Mais il faut aussi remarquer que par ces collections atypiques, la BNU se trouve depuis des décennies à l’articulation entre la documentation scientifique, la recherche universitaire et la muséographie. Aussi, lorsque le professeur Philippe Quenet a proposé le projet d’une exposition faisant état des hypothèses comme des résultats des recherches que mènent les équipes de l’institut d’Histoire et d’Archéologie du Proche-Orient ancien de l’université de Strasbourg, exposition nourrie par des collections et maquettes issues de prestigieux musées orientalistes, la BNU ne pouvait que s’engager dans un partenariat finalement naturel.

Dans sa concrétisation, le projet a associé non seulement les forces vives des étudiants de l’Association strasbourgeoise pour le Proche-Orient ancien (ASPOA) et du Service universitaire d’action culturelle, le savoir-faire de l’architecte Maurice Frey, du scénographe François Duconseille, de la Haute École des arts du Rhin, des graphistes de Terrains Vagues et des Presses universitaires de Strasbourg, mais aussi des établissements comme les musées de la Ville de Strasbourg, le Deutsches Archäologisches Institut de Berlin, et bien d’autres ; avec, enfin, la participation exceptionnelle du musée du Louvre. Je remercie très vivement Philippe Quenet d’avoir imaginé, puis mis en œuvre l’idée initiale, et ensuite organisé le travail autour des ressources de tous ces contributeurs.

En parcourant l’exposition et son catalogue, le visiteur suit donc une piste, d’indice en indice, d’hypothèse en hypothèse, pour tenter de comprendre ce qu’était réellement une ziggurat, la manière dont urbanisme, architecture, pouvoir, culte et société s’articulaient autour de ces monuments. Puisse la piste se poursuivre chaque génération un peu plus, pour retrouver cet Orient ancien que le temps et, parfois, la folie de quelques-uns, font disparaître peu à peu.

Alain Colas
Administrateur de la BNU de Strasbourg